Cette vie ou celle d'après by Signol Christian

Auteur:Signol Christian [Christian, Signol]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2013-08-07T13:20:53+00:00

« Un matin bleu,

La paille rousse,

Le chat ronronne dans un coin.

Sur le chemin,

Un enfant tousse.

Il y a des fleurs dans le jardin. »

Comment Julien pouvait-il écrire des vers d’une telle paix, d’une telle sérénité alors qu’il vivait parmi des hommes en armes ? Sans doute parce que l’écriture, qu’il avait appris à maîtriser, était plus forte que tout ce qui l’entourait, lui dissimulait le monde et la réalité. Et, pourtant, la réalité du monde se faisait de plus en plus menaçante en ce mois de janvier 1944. Blanche eut très peur en apprenant une incroyable nouvelle de la bouche même du maire : alors que l’on croyait le plateau inaccessible, les Allemands, en plein hiver et sous la neige, avaient lancé une opération contre le maquis de Malleval situé sur les pentes ouest du Vercors, au-delà des gorges de Nant, réputées infranchissables. Ils les avaient pourtant contournées sans difficulté, avec des camions et les armes nécessaires pour donner l’assaut. Alertés trop tard, les maquisards n’avaient pu échapper à l’encerclement et avaient tous été tués. Le village lui-même avait été réduit en cendres. Huit civils avaient été brûlés dans une ferme voisine. Le presbytère désaffecté qui servait de PC avait été dynamité.

Quand la nouvelle était parvenue aux oreilles de Blanche, elle en avait été épouvantée : Julien ne faisait-il pas partie du groupe de Malleval ? Elle ne savait pas. Elle courut chez le maire, l’implora de se renseigner, en perdit le sommeil tout le temps que dura son attente. Mais la prudence était de mise et elle dut patienter huit jours avant que Julien ne donne de ses nouvelles : il était bien vivant, ne se trouvait pas à Malleval, mais plus au sud, entre Saint-Agnan et le col de Rousset.

Il revint, de nuit, à la mi-février, malgré la neige épaisse, et elle eut du mal à reconnaître l’homme qui avait fait tant de projets à Noël, près d’elle, pendant ces quelques jours où ils avaient été si heureux. Elle comprit qu’il avait été ébranlé autant qu’elle par les événements de Malleval.

— Je ne vais pas repartir, lui dit-il dès que ses bras se furent refermés sur elle. Je sais aujourd’hui ce qui compte le plus pour moi : vivre près de toi. J’ai bien réfléchi, nous allons nous marier. Je n’ai pas besoin de la ville, ni de travailler dans une imprimerie ou d’écrire dans des journaux. Je n’ai besoin que de toi, de tes bras, de tes yeux, de ta force, de ta confiance.

Et, comme elle demeurait muette, foudroyée par cet aveu auquel elle ne s’attendait pas, il ajouta :

— Avec toi, je pourrais même redevenir charbonnier.

Elle ne répondit pas davantage, car elle était trop bouleversée pour cela. Elle ne dormit pas de la nuit, attendit le matin, fit taire en elle son besoin vital, essentiel, de vivre près de lui. Elle souhaitait autant son bonheur que le sien, elle le voulait heureux, réalisé, vainqueur. Elle se refusait à ce que tous les efforts qu’il avait consentis demeurent vains.

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